De son vrai nom
Giovanni Desperati, l’intéressé est né à Pise (ou selon d’autres sources à
Pistoia le 14 octobre 1884. Il décédera à Aix les Bains, en France le 27 avril
1957. Chaque philatéliste aura
certainement déjà entendu prononcer son nom. Nous essayerons de retracer la vie
de celui qui fit de la falsification un art. Il fut un des plus grands
faussaires de tous les temps si pas le plus grand.
Le
jeune Giovanni serait né dans une
famille de militaires. Dans une de ses autobiographies, il écrit que son père
était colonel et sa mère fille de général. Ces affirmations sont mises en
doutes. Elles n’ont jamais été confirmées.
Déjà très jeune, il eut des penchants
mégalomanes. Ce qui est sûr, par contre,
c’est que le père ouvre une petite entreprise métallurgique.
Mais
son absence de compétence conduit rapidement ladite entreprise à la faillite.
Il décédera et laissera une veuve et quatre fils. Deux de ses frères joueront
un rôle important dans sa vie de faussaire. Le premier Mariano s’installe comme
photographe et le second Massimo ouvre un commerce de timbres- poste secondé
par sa mère. Nous sommes quasi aux portes du 20e siècle. Le jeune Giovanni, qui a 15 ans suit des
cours de comptabilité. Il était destiné
avec ses frères à reprendre l’activité paternelle. C’est un garçon intelligent,
passionné par de nombreux domaines et notamment par la chimie. Vivant au milieu
des timbres-poste de par l’activité de son frère, Giovanni se lança dans une
petite collection.
Avec ses économies durement gagnées il s’acheta un timbre de
valeur, garanti comme authentique.
Par
la suite, il se révéla que ce timbre était faux.
On
ne le saura peut-être jamais, mais il paraît clair que cet événement a marqué
sa vie et que ce serait par vengeance à l’égard de tous ceux qui se prétendent
experts qu’il se serait lancé dans cette aventure répréhensible. Tout est
d’ailleurs en place : frère photographe installé à Turin s’occupant
également d’imprimerie, sa passion pour la chimie, commerce de timbres exploité
par son autre frère et par sa mère, cousin possédant un moulin à papier…
Sa vie de faussaire peut commencer.
Ce serait son frère
Massimo qui aurait été le premier à lui demander de réaliser un faux
timbre. Le résultat ne sera pas
probant. Mais ce n’est qu’un essai et sa
décision est prise définitivement. Il
sera faussaire. Il sait par son frère que la vente des
timbres est à cette époque déjà lucrative. En Italie notamment, de véritables
gangs se chargeaient d’écouler de faux timbres.
Les activités du négociant Massimo
Desperati sont loin d’être transparentes. En 1908, la presse
philatélique l’inscrit sur une liste noire et précise qu’il faut se méfier des
ventes qu’il organise. Le sol devient de
plus en plus brûlant sous les semelles des Desperati.
Ils
ont juste le temps de fuir Pise pour aller se réfugier chez de la famille à
Milan et précéder de peu une perquisition de la police en mars 1909. Celle-ci
découvre au domicile de la mère un matériel complet de faussaire allant de la
presse à papier, en passant par l’encre, clichés, etc….
En 1910,
Massimo et sa mère sont arrêtés. Ils
s’en tirent plutôt bien. La mère bénéficie d’un sursis et son fils est condamné
à une peine de deux ans de prison. Il fait appel et est acquitté. Il n’aura
passé que 12 mois derrière les barreaux.
Mariano,
le photographe et Giovanni passent au travers des mailles du filet et ne sont
pas inquiétés. Ce dernier quitte l’Italie en 1911 pour Paris et vivre sa propre
vie.
Il
change son nom en Jean de Sperati. Cela
lui donne un petit air de respectabilité.
Il
exercera diverses activités à Paris : représentant de commerce, épicier…
Il épousera une normande en 1914 et aura une fille 10 ans plus tard. Pour arrondir ses fins de mois, il continuera
son activité de faussaire.
Il
fait encore des séjours en Italie chez son cousin afin de maîtriser encore
mieux le traitement du papier.
En
1930, il quitte la capitale française pour s’établir à Aix les Bains et ne
s’occupe plus que de son « art » (sic). Ses affaires ne pouvaient être que
florissantes car à peine un an plus tard il avait déjà les moyens de s’offrir
une villa à Aix dénommée « Au clair de Lune ». C’est là qu’il passera
le restant de sa vie.
La
suite est assez ahurissante. Le marché
est inondé de faux timbres. La source est manifestement à Aix les Bains. Et
tous les soupçons se dirigent vers de Sperati.
Mais
personne ne semble s’inquiéter. On fait le mort. Certains préfèrent qu’il n’y
ait pas de vagues et que la philatélie ne soit pas discréditée. On préférait ne
pas décourager les collectionneurs avec des affaires douteuses. Ainsi chacun
continuait son petit commerce ; de Sperati ne pouvait pas ne pas s’être
assuré certaines complicités.
Notre
homme continua donc son petit jeu presque au vu et au su de tout le monde.
Finalement c’est en
1942 que le vent se mit à tourner. Le 25 février 1942, de Sperati envoie à un
négociant à Lisbonne 18 timbres de grandes valeurs dont le timbre de Belgique
(COB n° 37). Parmi a quantité de faux, seul ce timbre belge aurait été
falsifié.
Le
courrier est intercepté par la douane française, croyant les timbres authentiques,
l'administration l'accuse de n'avoir pas déclaré leur valeur réelle et veut le
faire condamner pour fraude. ll croit pouvoir se défendre en avouant que ce
sont des faux, mais les experts appelés en renfort sur cette affaire (Edmond
Locard en 1943), certifient l'authenticité des timbres et Sperati se voit
condamné !
Il est condamné à de lourdes amendes. Il est dès lors contraint d’avouer
que ce sont des faux sans toutefois
avouer qu’il en est l’auteur.
Nouveau
procès, nomination d’un autre expert (L. Dubus en 1948).
Celui-ci, comme le précédent, continue à affirmer que ce sont des
timbres authentiques et donne une cotation 4 fois supérieure à celle faite
quelques mois plus tôt !! de Sperati continue bien sûr à affirmer que ce
sont des faux mais acculé, avoue qu’il en est
l’auteur.
Le
même expert continue contre vent et
marée (rapport du 4 janvier 1944) à affirmer le contraire et revoit encore à la
hausse ses cotations antérieures. L’affaire de Sperati tourne au vaudeville.
En
1945, un nouvel expert rendra enfin un rapport qu’il s’agit bien de faux. Ce n’est qu’en 1948 que notre héros (sic)
sera condamné à des sommes évidemment nettement moindre vu qu’il s’agissait de
vignettes sans valeurs ; celles-ci étant néanmoins confisquées.
L’accusation porta en fin de compte, non sur
l’exportation de capitaux, mais sur l’exportation illicite de
marchandises à savoir en l’occurrence des reproductions d’images et estampes.
Ainsi
l’Etat français ne perdit pas la face.
Comme
on peut le constater, toute sa vie n’aura été qu’un roman. L’on pourrait encore remplir de nombreuses
pages concernant cet individu qui se présentait, pour sa défense, être un
artiste.
Il
était avant tout un escroc, faussaire de génie, il est vrai. N’oublions pas
qu’il a ainsi trompé de nombreux philatélistes qui ont déboursé des sommes
importantes afin d’acquérir des timbres qui n’étaient que des faux.
S’il
s’en tire plutôt bien devant les tribunaux de Haute –Savoie, de Sperati, se
retrouvera devant les tribunaux de la capitale. La Chambre Syndicale
de Négociants en timbres-poste finit par déposer plainte. Elle n’avait que trop
attendu avant de réagir et risquait de perdre tout crédit auprès des
philatélistes.
Nous
sommes à la fin des années quarante et de Sperati est condamné à un an de
prison
pour
falsifications.
Des
négociants dans toute l’Europe et même à New-York furent ses victimes.
Sa
femme et sa belle-sœur furent également condamnées pour complicité. Il se retrouvera en cellule pendant quelques jours. Il sera libéré très rapidement vu ses
problèmes de santé.
Il
décidera d’aller en appel.
S’ensuivra
ensuite une procédure sans fin. Finalement, en juillet 1952 tombera l’arrêt
définitif et les peines seront sensiblement aggravées. Mais sa santé ne s’étant pas améliorée, il
restera en liberté. de Sperati a 68 ans.
Il décédera 5 ans plus tard.
Le
nombre de falsifications est impressionnant.
La liste de tous les pays dont de Sperati a imité des timbres est
longue ; de nombreux timbres des anciens états allemands, anciennes
possessions
Britanniques, Espagne,
France, Etats d’Amérique du Sud, etc.,
etc… Un timbre n’aurait pas été imité ; c’est la Colombe de Bâle. Il aurait
essayé mais n’aurait jamais réussi. Il a
d’ailleurs fait éditer un catalogue de ses faux ; ce qui a permis aux
experts de faire le tri et de séparer les vrais des faux.
Mais
de là à prétendre que plus aucune collection importante ne contient de timbres faux à l’insu de son propriétaire est
un pas que l’on doit se garder de franchir.
Ses
faux étaient d’une telle qualité qu’actuellement encore, ses vignettes sont
vendues en tant que faux et trouvent des amateurs. Certains collectionneurs se sont spécialisés dans une collection « Les
faux de Sperati » (¹).
Si
ce dernier avait quelques concurrents célèbres dans le domaine de la falsification tels que le français Fournier, les frères
Spiro, Taylor ; il avait une large supériorité dans le traitement du
papier et des encres, notamment en effaçant l’image d’un timbre ordinaire et en
remplaçant par un timbre de grande rareté.
Il
poussa même la maîtrise à effacer l’encre du timbre sans altérer l’oblitération
( !).
Rappelons
que très jeune il avait été attiré par la chimie et que toute sa vie durant il
avait amélioré sa technique dans ce
domaine. Il avait poussé le culot
d’effacer des images de timbres munis d’un cachet d’expertise au verso et
en reproduisant d’autres timbres de plus
grande valeur au recto.
Comment
dès lors s’étonner que de nombreux experts n’y virent que du feu.
Il
s’est gardé de s’attaquer à d’autres problèmes techniques tels que fabriquer de
fausses dentelures ou de faux filigranes.
Il a préféré s’en tenir à son domaine.
Tout
« artiste » qu’il ait été ou
qu’il prétendit être, de Sperati était avant tout un escroc. Qu’il ait été
trompé dans son jeune âge lors d’un achat d’un timbre falsifié ne peut
évidemment pas l’excuser. Il n’a
d’ailleurs jamais prétendu que c’était cet incident qui l’a poussé dans cette voie. Néanmoins on peut le supposer. Ce texte n’est
qu’un modeste résumé de sa vie.
N’oublions
pas que de nombreux livres furent écrits sur l’intéressé.
Celui
qui désire approfondir ce sujet peut lire l’ouvrage de L.Blanc-Girardet
(édition Pachaft - avril 2003) ou trouver sur internet la liste, partielle, des
pays dont de Sperati a falsifié des timbres.
André Forton, doc et mise en
page P.Santy